une ecologie des relations humaines
Les relations humaines, au sein des organisations, sont rarement abordées ni même pensées en tant que telles. Elles s'apprennent "sur le tas". Chacun est sensé savoir naturellement comment entrer en relation et négocier fructueusement avec les autres. Pourtant, entrer en relation sage et habile avec autrui n'est pas inné. Cela s'apprend.
Et c'est essentiel : là résident de formidables gisements de créativité et d'énergie.
Dans une vision étroite des organisations humaines et de leur fonctionnement, les "ressources humaines" sont exploitées, au sens d'utilisées, voire "consommées" (on parle ainsi de salariés "jetables"). Les êtres humains sont réduits à l'état de ressources qu'il convient de rationaliser. Les conséquences de cette approche mécaniste sont redoutables, exactement comme pour les ressources de notre planète. Dans une étude récente, l'ONU pointe la création, par la recherche effrênée de la performance, d'une économie du burn-out, avec des conséquences extrêmement graves sur la santé mentale des travailleurs et sur les inégalités.
Une autre approche est possible : une approche écologique des relations humaines.
Limites de l'industrialisation des relations humaines
Encadrées par des systèmes de rémunération, de gestion du temps, de reporting, de contrôle qualité, de motivation, de relations sociales codifiées et de procédures, largement digitalisées... les relations humaines, dans de très nombreuses organisations, sont priées de rentrer dans le moule de la logique industrielle, qui entend, par des procédés digitaux, fabriquer à grande échelle - et à moindre coût - ce qui se faisait auparavant de manière "artisanale". La dimension sensible des êtres humains - leurs besoins et leurs facultés de lien, de relation, de sens, de reconnaissance, de jeu, de poésie, de créativité, d'épanouissement personnel - passent en pertes et profits.
Pour autant, et fort heureusement, ces besoins et ces facultés existent, têtus. Sauf dans quelques start-up innovantes, ou dans certaines entreprises mythiques du luxe, ils sont ignorés, classés - un peu vite - parmi les sujets ne relevant pas de la sphère professionnelle, sinon parmi les mirages du "bonheur au travail" ou du management bienveillant-gnan-gnan. Ils sont relègués au rang de luxe dont les organisations "performantes", sous les effets de la concurrence, n'ont soit-disant pas le loisir de se préoccuper. C'est pourquoi ils ressurgissent, immanquablement, sous des formes incontrôlables, en particulier celle du conflit.
Facultés et besoins de relations s'expriment... qu'on le veuille ou non
Que d'énergie perdue en conflits, en futiles polémiques, en incompréhensions entre les personnes, en réactions émotionnelles aigües sur les réseaux sociaux ! Que de temps passé à défaire et refaire ce qui a été fait trop vite, "à l'arrache", sans avoir pris le temps de vérifier la compréhension et l'assentiment des acteurs concernés, ou à l'inverse à rechercher systématiquement le consensus, y compris lorsqu'il n'est ni possible, ni requis ! Que de dépenses en assurance maladie, en absentéisme, en grèves dures, en dysfonctionnements divers, dûes au sentiment d'épuisement de nombre de salariés, au fameux "manque de reconnaissance" dont on peine à comprendre ce qu'il recouvre ! Que de plaintes d'avoir à "gérer des personnalités difficiles" ! Que d'incendies par réseaux interposés, réponses en "copie à tous", qui démarrent sur une étincelle, font des ravages en deux fois rien de temps, et remontent polluer l'ordre du jour des réunions et des dirigeants !
Partout, le manque d'attention aux relations humaines conduit à des situations de tension, de conflit et peut même aller jusqu'au blocage complet. Pour le vivre moi-même en entreprise, pour l'avoir entendu à longueur de stages de la bouche des managers que j'ai formés, pour le lire à longueur de blogs et d'articles sur la qualité de vie au travail, les "ressources humaines" gagnerait fort, aujourd'hui, à être envisagées de manière écologique.
Une écologie des relations humaines : de quoi s'agit-il ?
L'écologie et la science des organismes vivants et de leurs interactions entre eux et avec leur environnement, autrement dit leur habitat. C'est la "science des condtions d'existence". Par essence, elle s'interroge sur la façon d'aborder les systèmes complexes, c'est-à-dire composés d'éléments différents, en interaction, et qui se combinent d'une manière qui n'est ni immédiatement ni complètement saisissable. La notion de complexité est indissociable de la perception : elle renvoie à l'engagement de l'observateur lui-même.
En écologie, il n'existe pas d'échelle pour observer tous les phénomènes. Un des enjeux majeurs de l'écologie est de pouvoir prendre en compte une multiplicité d'échelles d'étude afin d'intégrer, lors d'une phase appelée "transfert d'échelle", chacun des phénomènes étudiés à leurs niveaux spécifiques.
Les relations humaines sont absolument indispensables à notre développement. Elles sont un "milieu" dans lequel nous respirons, nous nous nourrissons, nous nous délyons... ou non. Ce milieu peut être appauvri, pollué, voire toxique...
Comment en prendre soin ?
Dans une approche écologique des relations haumaines, on s'attachera à distinguer, sans les séparer, les phénomènes relationnels à différents niveaux : ceux liés aux personnes, dans leurs rapports avec elles-mêmes et avec leurs fonctions, ceux liés à leurs inter-relations au sein des organisations, ceux enfin liés plus largement à leur environnement professionnel et culturel. Il s'agira de distinguer la forme du fond. Il s'agira de relier chaque phénomène à son niveau spécifique, sans les confondre, ceci, en vue d'intervenir de manière souple, habile et économique, et en vue de préserver un juste équilibre entre les besoins des personnes et ceux du collectif.
Une approche respecteueuse de la singularité des personnes
Souvent, les interventions ad-hoc relèveront apparemment, une fois identifiées, comme dans l'écologie, du simple bon-sens. Une simplicité qui est pourtant loin d'être évidente au premier abord. Il s'agira par exemple de veiller à formuler certains messages jusqu'ici implicites, à informer clairement, suffisamment, et surtout de la bonne manière, à mettre en place des temps et des lieux de rencontre un peu différents, à offrir des espaces pour réfléchir et se former... Une approche écologique des ressources humaine, c'est une manière de conduire le équipes plus respectueuse des besoins singuliers des personnes, dans leur diversité, plus économique en "coût psychique", plus "ergonomique", au sens d'adaptée à la "forme" psychique de l'être humain. C'est une volonté et une manière de faire moins gaspilleuse de talents et d'énergies, qui vise avant tout à permettre aux facultés et à l'intelligence des personnes comme du collectif de s'épanouir. C'est considérer les autres comme des sujets, dotés de besoins et de compétences qui leurs sont propres, mûs par leurs propres choix et donc responsables, et non plus comme des objets qu'il conviendrait de savoir gérer, motiver, voire manipuler. C'est donc remettre les relations humaines au coeur même des questions d'organisation et de management.
Deux logiques différentes et complémentaires
L'une des clés de cette approche écologique des ressources humaines est de veiller à approcher projets et problèmes par deux logiques différentes, complémentaires, trop souvent malheureusement opposées l'une à l'autre.
L'une, masculine, est celle de la LOI : elle recherche la compréhension des lois à l'oeuvre, l'efficacité et le résultat. Elle s'attache à résoudre les problèmes, concrets ou abstraits, par la réflexion et par l'action. C'est une intelligence du « pour quoi », encore considérée, bien que les choses commencent à évoluer, comme la seule "vraie" intelligence. Elle s'exprime par des chiffres et des mots.
L'autre, féminine, est celle du LIEN, de la relation, de la présence conjointe d'éléments différents voire contradictoires, et de leurs compositions harmonieuses ou cacophoniques, souvent assimilée à l'art, à la poésie ou au génie. C'est une intelligence du « comment ». Elle s'exprime par des symboles, autrement dit des images.
Reconnaitre et conjuguer harmonieusement en nous tous, hommes et femmes, la présence de ces deux formes d'intelligences, la Loi et le Lien, relier l'intelligible et le sensible : c'est à la fois le but et le chemin proposé ici.